Les managers sont souvent dans des situations où ils ont besoin d’opter pour des postures et de prendre des initiatives et des décisions. C’est dans ce cadre qu’ils peuvent être jugés incohérents, ou non appréciés par rapport à ce qu’ils font et ce qu’ils ont dit pouvoir et vouloir faire. Je ne parle, bien entendu, pas d’un caractère passager ou des réactions propres à des situations, mais plutôt d’habitudes qui s’installent progressivement dans les pratiques managériales. La schizophrénie managériale devient tellement chronique que certains managers vivent avec sans s’en rendre compte.
La «schizophrénie» représentée par cette discordance entre les promesses, les décisions et les actes de certains managers peut prendre plusieurs formes, mais permettez-moi de partager avec vous des cas concrets que j’ai notés personnellement dans des missions d’accompagnement que j’ai eu l’occasion de réaliser depuis plusieurs années. Ces cas présentent, généralement, des pratiques qui vont certainement vous rappeler des situations que vous aviez vues dans votre parcours professionnel.
L’idée est de vous inviter à prendre conscience de ces types de malaises afin de vous permettre de les éviter et les corriger (je = manager, vous = collaborateur) :
Cas Schizophrénique 1 : Faites ce que je dis, MAIS ne faites pas ce que je faisais !
Cas Schizophrénique 2 : Prenez l’initiative, MAIS Restez dans l’ombre de quelqu’un.
Cas Schizophrénique 3 : Je prends mon temps pour décider, MAIS vous, ne prenez surtout pas de temps pour adhérer et implémenter ce que je vous dis.
Cas Schizophrénique 4 : Je réussis parce que je suis polyvalent et généraliste, MAIS vous devez être spécialiste pour réussir.
Les deux cas les plus fréquents:
Cas Schizophrénique 1 : Faites ce que je dis, MAIS ne faites pas ce que je faisais !
Dans une association professionnelle à but non lucratif, un nouveau président prend les rênes de la gouvernance. Juste après sa nomination, il exige la présence de tous les membres du bureau de direction de l’association avec la menace qu’ils vont être expulsés dans le cas où ils ne se présentent pas aux réunions hebdomadaires. Quelques semaines après le discours menaçant, il a, en effet, appliqué sa menace en expulsant 3 des plus anciens membres sur 12 constituant le bureau de direction. L’impact été virulent et global sur tous les collaborateurs et adhérents à la cause de l’association. Certains membres ont protesté ouvertement les pratiques et les compétences du nouveau président en faisant signer une pétition à d’autres sympathisants de l’association. D’autres membres ont bruité la corruption du président et ses pratiques malsaines qui vont à l’encontre de la réputation de l’association et des valeurs qu’elle défend. Tous les signes prouvent une crise qui a dérapé en créant une réelle désolidarisation des membres. Pourquoi est-on arrivé à ce niveau de crise ? Détrempez-vous, il ne s’agit pas d’une incapacité à gérer les conflits, ou d’un manque d’aptitudes communicationnelles. Il s’agit tout d’abord d’une question d’exemplarité. En effet, ce président, et durant les mandants durant lesquels il était un simple membre, il n’assistait que très peu aux différentes réunions. L’assiduité n’était pas son point fort.
Par ailleurs, et lors des rencontres informelles ou durant les réunions officielles, il n’hésitait pas à insister sur la nécessité de recruter des cadres permanents et qu’il faut prévoir leurs coûts dans les budgets annuels. Ceci libérerait, selon lui, les membres bénévoles de la corvée de plusieurs contributions surtout celles d’ordre administratif. Lorsqu'il est devenu président, on voyait que ses comportements sont incohérents avec ce qu’il disait et ce qu’il défendait auparavant. La question qui mérite d’être posée est : Si ce président ne respectait pas des pratiques, ou au moins il challengeait leur pertinence, quand il était un simple membre, pourquoi a-t-il tenu à sanctionner le non-respect de ces mêmes pratiques une fois devenu président de l’association ? Attention, ne demandez pas à vos collaborateurs de faire ce que vous dites en tant que leur supérieur, tout en les sanctionnant s’ils font ce que vous faisiez quand vous étiez leur collègue.
Cas Schizophrénique 2 : Prenez l’initiative et Restez dans l’ombre de quelqu’un.
Dans une organisation prônant la «proactivité» en tant que discours réformiste de la culture «stagnante» des équipes, un directeur de business unit initie un programme de recrutement de cadres supérieurs pour étoffer ses équipes. Il était très enthousiaste à l’égard d’intégrer des talents dans ses équipes et n’arrêtait pas de le dire haut et fort lors des réunions des cadres avec un discours réformiste faisant la promotion de l’innovation et la nécessité d’apporter du sang neuf à l’organisation. Ceci dit, et suite au recrutement de la première promotion de ces nouveaux cadres, toutes les interactions reflètent une ambiance particulière qui se fait généralement ressentir rapidement durant les premières réunions et présentations. En effet, ces nouvelles recrues comprennent très vite qu’elles ne doivent pas challenger le directeur devant leurs collègues, ou lui faire de l’ombre en présence des collaborateurs des autres directions. Comment souhaitez-vous que ces cadres libèrent leur énergie créative s’ils savent pertinemment qu’ils vont être blâmés s’ils parlent trop ou s’ils prennent l’initiative de proposer des idées en présence de leurs collègues ou des membres d’autres départements ?
Comment souhaitez-vous que ces cadres soient innovants s’ils n’ont qu’une obsession : Éviter le risque de faire de l’ombre à leur propre manager ? La question qui mérite d’être posée est : Si des directeurs ne veulent pas qu’on leur fasse de l’ombre, pourquoi recrutent-ils des gens intelligents, et puis ils sont déçus quand ces personnes ne sont pas au top en termes de performance ou s’ils ne sont pas si innovants sur ce qu’on voulait d’eux à un certain moment ?
Ce qu’il faut comprendre est que certaines pratiques et discours réformateurs, à l’instar de l’innovation et la proactivité, exigent un préalable au niveau des managers qui doit être développé. Il s’agit de l’ouverture d’esprit, à la transparence des attentes et des périmètres d’intervention de tout un chacun, et l’aptitude managériale à mobiliser l’intelligence collective.
D'autres cas de schizophrénie managériale :
Cas Schizophrénique 3 : Je prends mon temps pour décider, mais vous, ne prenez pas de temps pour adhérer et implémenter.
Dans une multinationale, les managers du siège central prennent plusieurs mois pour prendre des décisions liées à des choix et des solutions qui sont à déployer par les équipes des pays gérés. Le sentiment des équipes de ces managers est que ces décisions prennent beaucoup de temps et trainent pour des raisons insensées. Le comble est quand les décisions sont prises, les résultats et les livrables sont exigés pour des deadlines très courtes et on tombe dans une utilisation excessive de l’expression ‘La deadline est pour hier’. Pourquoi exigent-ils des délais de réalisation insensés alors qu’ils ne sont pas, eux même, efficaces en termes de livraison des décisions. S’ils souhaitent un engagement, il faut qu’ils le reflètent par l’image qu’ils véhiculent. Si on prend du temps à réfléchir sans trop nous soucier des personnes impactées ou les impliquer … A leur tour, elles passeront plus de temps à ne réfléchir qu’à implémenter nos décisions comme on le souhaite. Donc, pourquoi s’étonner que nous ayons des collaborateurs non engagés si leur manager prend du temps à réfléchir alors qu’il ne donne pas le temps de réflexion à ceux qui vont implémenter.
Cas Schizophrénique 4 : Je réussis parce que je suis polyvalent et généraliste, mais vous devez être spécialiste pour réussir.
Dans une entreprise de développement informatique, certains managers martèlent leurs interlocuteurs avec un discours défendant la nécessité que les ressources se spécialisent de plus en plus dans un des domaines des compétences. En renforçant ce paradigme de la spécialisation, on fait en sorte que les directions RH ne recrutent que des spécialistes pour continuer à les pousser vers des spécialisations. Le malaise est que ces managers sont eux-mêmes des généralistes et bâtissent leur légitimité sur leur capacité à gérer des profils et des attentes d’horizons très différents. Tous cadres, au sein de cette organisation, sont conscients que les managers réussissent grâce à leur expérience diversifiée, leur esprit de benchmark, et leur capacité d’adaptation à des expertises diverses. Ceci dit, on ne fait que demander aux collaborateurs de se spécialiser pour réussir. Comment souhaitez-vous les motiver dans un contexte pareil ? Ils ne voient que de l’incohérence dans ces propos.
En parcourant l‘ensemble des cas ci-dessus, vous vous rendez compte des manifestations de la schizophrénie managériale, ainsi que de l‘ampleur de ses dégâts : la démotivation, l’infidélité, et le désengagement massif des collaborateurs. Les managers constituent le pilier majeur de l’engagement mais peuvent aussi être des acteurs du désengagement qui ruine les organisations. Ce constat est bien mis en évidence par Marcus Buckingham dans sa célèbre citation «On ne quitte pas des mauvaises entreprises, mais on quitte plutôt des mauvais managers».
Par Farid Yandouz
GM @ Trusted Advisors